Zone Euro/BCE: Interview de Didier REMER. (FINANCE OFFSHORE INTERNATIONAL)



BCE, Optimisme de rigueur...  pour Didier REMER!


                                          
Emanuel de Saint-Cyr: La conférence de presse du président de la BCE n'a pas donné le résultat escompté, d'abord un effet d'annonce jugé comme encourageant, puis une remise en ordre sur les fondamentaux. Mario Draghi ne s'est-il pas finalement plié aux ordres des allemands?

Didier REMER: Oui et non, comme évoqué sur Finance Offshore, certes il a donné un blanc-seing aux allemands, mais il faut comprendre que Mario Draghi est dans la posture d'un équilibriste... Il sait que l'Allemagne représente 19 % du capital de la BCE. Plus important, il sait aussi que le 12 septembre prochain, les juges de Karlsruhe doivent se prononcer sur la constitutionnalité du Mécanisme européen de stabilité (MES). C'est dire que l'opération s'avérait comme très compliquée.

EDSC: Oui, mais chacun retient les déclarations de Mario Draghi jeudi dernier ou celles du président de l'Eurogroupe, le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. Tous deux semblaient donner le change à une nouvelle orientation de la BCE?

D.REMER: Jean-Claude Juncker s'était fait fort de prudence, celle qui veut que ce haut diplomate ne parle jamais dans le vide. Il a bien tenté de rassurer sur le fait que des solutions sont à mettre en avant, mais il a été un des premiers à souligner le besoin de respecter l'indépendance de la BCE et ce crucial besoin d'une hauteur de vue de la part des politiciens. Car ce sont ceux qui instiguent trop souvent une forme de mesquinerie en reposant leurs déclarations que dans l'unique cadre de leur jeu préféré, celui de la politique intérieure. Et nous y voilà, des actes forts sont en préparation depuis le sommet de Juin (28et29), mais ils buttent au calendrier très complexe, qui se perd entre enjeux électoraux et besoin de tous marqueurs du respect de la loi,  comme le fameux article 21.1 (BCE) ou 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne! *(Ndlr: voir-ci dessous en fin d'article). C'est dire que Mario Draghi est finalement pris entre deux feux, et doit donc se laisser une porte entre-ouverte, mais seulement!

EDSC: En Allemagne on reprochait aujourd'hui dans Le BILD à ce même Draghi «un manque de clarté du président de la BCE, à un moment où 80% des Allemands craignent pour leurs économies!». On voit bien que le message de la BCE a du mal à passer?

D.REMER: Oui, mais si vous allez lire la Süddeutsche Zeitung , on y a salué son «Numéro d'équilibriste en insistant sur le droit à l'espoir pour les pays du Sud, tout en leur rappelant leur devoir de réforme. » C'est tout à fait à l'image du débat qui fait rage en Allemagne. L'opinion publique allemande était clairement préparée à l'idée d'une intervention a minima de la BCE. C'est dans cette logique que s'inscrit l'abstention du chef de la Bundesbank, Jens Weidmann. Il a voulu lancer un avertissement pour montrer son attachement à l'indépendance de la BCE vis-à-vis des politiques, mais s'était pour mieux rappeler le poids de l'Allemagne, qui à hauteur de 19% du capital de la BCE,  lui donne une place primordiale sur l'échiquier, en tous cas visiblement pas celle de simple pion!

EDSC: Cette posture allemande conforte l'enterrement de première classe d'une possible licence bancaire pour le fonds de sauvetage que sera le MSE, de quoi doucher bien des espoirs?

D.REMER: Les politiciens allemands qui bataillent en ce sens, mettent en avant l'avenir de l'Allemagne! Mais aussi d'autres pays comme les Pays-Bas ou la Finlande, qui disposeront à leur tour d'un droit de veto au sein du Mécanisme européen de stabilité. Ce qui enterre toujours plus, l'idée d'une licence bancaire pour ce fonds de sauvetage. Nous sommes clairement dans la même situation que 2011, beaucoup de bonnes volontés, et finalement une Allemagne qui douche encore les espoirs... En Allemagne, ils ne sont pas nombreux à se refuser de céder à cette suprématie germanique qui s'abat sur toute la Zone euro, pourtant Peter Bofinger, membre du Comité des cinq sages consulté par le gouvernement sur les questions économiques, souligne que l'Allemagne « A la mémoire courte! » et de préciser « que lors de la récession de 1975, la Buba elle-même avait acheté en masse des obligations allemandes, avec l'objectif.. d'en faire baisser leur taux! » De quoi remettre en perspective quelques bonnes leçons de morale si chère à Angela Merkel.


EDSC: Dans cet esprit, la réaction du ministre de l'Économie, Philip Rösler (vice-chancelier libéral du FDP) est une réponse à la récente sortie sur la "mesquinerie" de certains politiciens, déclaration de monsieur Jean-Claude Juncker, président de l'Eurogroupe. D'autant plus cruel pour un monsieur Draghi recadré lui même par ce ministre allemand de l'économie qui devait évoquer que «Sa mission est d'assurer la stabilité de la monnaie, pas de financer les dettes des États!» Franchement , les allemands ne sont-ils pas en train de jouer avec le feu en affirmant être les uniques chefs des pompiers de la crise de la dette?

D.REMER: C'est clair, le ministre allemand Philip Rösler ne fait pas l'économie d'un tacle. Un jour Juncker, l'autre Hollande, et plus récemment monsieur Draghi, ce qui fait penser que cette posture serait finalement de bonne guerre. Pour ma part, je pense qu'il est dans son droit, mais jamais dans son devoir, lui aussi en apprendra encore sur le sujet. Il serait intéressant de le confronter à ce jeune économiste qui de Grèce, nous évoquait la situation de sa mère, retraitée, confrontée à un déclassement social sans précèdent, devant aller attendre plusieurs heures dans un centre de soins pour obtenir des précieux médicaments qu'elle ne peut plus s'acheter pour son indispensable traitement médical, constatant l'érosion de son pouvoir d'achat et de sa condition sanitaire... Mais bon, monsieur Philip Rösler est bien dans son rôle de moralisateur payeur!  (NDLR: L'Allemagne est un des plus gros contributeurs des plans d'aide) Nous avons voulu après 1945 que l’exécutif allemand soit contraint par des contre-pouvoirs forts, nous n'allons pas maintenant esquisser commencer vouloir nous en plaindre. Cependant il serait intéressant que les allemands gagnent en hauteur de vue, il serait regrettable que toutes ses leçons de morale n'aboutissent qu'à l'unique exercice de déclarations, les moins constructives en l'espèce. Nous sommes face à un énorme problème d’autorité politique au niveau européen, les peuples ne sont pas traités avec une équité que les pères fondateurs voulaient, il faudra faire un effort constant d'intégration, à tous les niveaux, à commencer par celui d'un certain respect.

EDSC: L'Europe est-elle à la peine? On pensera aux éternels « sommets de la dernière chance ». On voit bien que le déficit exécutif n'aide pas la mise en application des décisions qui suggèrent une implémentation plus rapide et donc efficace. Le sommet de Juin est enferré dans un calendrier toujours plus hypothétique, on ronge son frein sur la décision de la Cour Constitutionnelle de Karlshrue, on tremble à l'idée de voir la Grèce sortir de la Zone euro, on s'inquiète de la montée du populisme, en fait, on marche toujours plus sur la tête...

D.REMER: Présenté ainsi, il y a de quoi s'inquiéter! Sur les capacités de rebond de la Zone Euro, il faut se rassurer, il y a une nouvelle logique qui gagne en ampleur, agir sur la croissance, et plus uniquement sur les uniques logiques de l'austérité. La rigueur budgétaire seule est une erreur totale, il faut agir sur d'autres leviers, considérer qu'une génération puisse être gâchée est une bêtise qui trouvera vite une réponse dans la rue!  Les sommets n'ont pas été inutiles, beaucoup de décisions ont été prises, mais sont pour l'heure insuffisantes. Pour reprendre la remarque pertinente d'un économiste lue dans la presse française, ""Il y a au niveau européen un réel déficit exécutif qui est le revers du déficit démocratique, marquant un cruel cercle vicieux. Il y a des décisions difficiles à prendre, et comme il n'y a pas de mandat clair, elles ne sont pas (toujours) prises ou si difficilement. Dans le même temps, les Européens voient que leurs dirigeants ne sont pas capables de prendre les décisions nécessaires, donc ils leur font de moins en moins confiance renforçant une frustration légitime des citoyens face au système tout entier. Le reproche essentiel adressé à Bruxelles n'est pas sa tyrannie, mais bien son impuissance ainsi perçue."" C'est hélas, un assez bon résumé de la situation. Dans cette configuration, le populisme a encore de beaux jours devant lui!

EDSC: Sur les récentes décisions, vous pensez vraiment que l'optimisme est de rigueur?

D.REMER: Je reconnais votre perfidie, oui on peut parler d'un certain optimisme de rigueur, il y a un décalage entre décisions et les applications efficientes des récents accords. Le temps d'une acceptation de l'Union bancaire est acquis, décidée le 29 juin dernier, la possibilité de recapitaliser directement les banques au niveau européen sous certaines conditions représente un pas important vers l'union bancaire. Nous pouvons escompter d'autres progrès dès lors que les allemands feront un travail plus introspectif sur leurs fondamentaux en acceptant de mesurer un jour, le risque de leur entêtement sur le rôle que doit tenir leur pays, mais plus que jamais, la BCE. Le paradoxe est bien dans cette nécessité de voir des progrès sur les notions budgétaires et la maîtrise par les états de leurs comptes tout en s'assurant une issue avec la croissance et donc la compétitivité à retrouver comme un bon chemin. Les investisseurs doivent pouvoir agir sur d'autres leviers que la pure spéculation sur la dette des états, il faudra de l'imagination, des projets qui font appel à des logiques innovantes. Je ne peux pas imaginer un instant que soit sacrifiée toute une génération sur l'autel d'une Europe qui ne ferait plus que force d'impuissance! Certes la BCE est bien le garant ultime de la stabilité de l'euro, cependant,  il faut impérativement l'aider dans son action avec tous les Etats membres de l'Union européenne, toutes les réalités qui la composent, l'erreur serait de donner un blanc-seing systématique aux allemands, alors que d'autres vérités, sont toujours plus systémiques par leurs conséquences... La montée du chômage des jeunes en Zone euro, l'accroissement de la paupérisation des classes moyennes, la dégradation sanitaire et toutes autres altérations de la dignité humaine. Il serait agréable de voir la fin de certaines postures mesquines d'hommes politiques, toujours plus loin des réalités du commun des mortels. On ne gagnera pas cette bataille de la crise de la dette en dynamitant les ponts que nos pères fondateurs devaient créer au sortir d'une autre guerre...


*Article 21.1 BCE






"Opérations avec les organismes publics"

article 21.1.(BCE) Conformément à l'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, il est interdit à la BCE et aux banques centrales nationales d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.


Article 123  Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

(ex-article 101 TCE)
1. Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient, de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédit.





Photographie: (Target Monaco)  Tous droits réservés.

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