Affaire Karachi Gate: Interview de Didier REMER (Finance Offshore) par Emanuel de Saint-Cyr.




          " Pour Didier REMER,  tourner en rond ne veut pas dire dans le mauvais sens..."





Interview réalisé à Luxembourg le vendredi 26 Novembre 2011


Emanuel de Saint-Cyr: Bonjour Didier REMER, Finance Offshore comme une presque devenue habitude s'est "attaqué" au dossier de l'affaire Karachi Gate. Ce qui n'est pas un hasard, tant le Luxembourg tient bonne place, si je puis dire,  dans l'affaire. Selon Finance Offshore, c'est à Luxembourg que se trouveraient les preuves de l'affaires, votre avis?

Didier REMER: Cher Emanuel, il nous faut être précis.  Dans cette affaire d'état, Luxembourg a bien été un des lieux privilégiés, pas tant  pour son climat ou la qualité de l'ambiance de la ville...  C'est un des jobs de la place financière luxembourgeoise, permettre avec une législation des plus conciliantes en la matière, la réalisation de montages financiers trés divers qui de honnêtes à malhonnêtes se fondent dans la masse des affaires de la place. Il serait injuste de vouloir faire croire que tous les acteurs de la place s'adonnent avec abondance à de telles pratiques.

EDSC: Donc vous confirmez implicitement le rôle du Luxembourg financier dans le dossier Karachi Gate?

DR: Je confirme que la place se compose de personnes responsables qui usent essentiellement d'une réelle déontologie. Je confirme aussi que comme toutes les autres places financières qui cultivent en partie  le secret bancaire, certaines dérives sont aussi visibles à Luxembourg. D'ailleurs, c'est en parlant de secret, ...un vrai secret de Polichinelle! Donc je ne peux que constater la présence de sociétés écrans qui abondent au service de nombreux états, pas seulement la France, leur offrant ainsi un cadre discrétionnaire qui doit être efficace s'il on en croit certaines adresses sur les boîtes aux lettres... Cadre discrétionnaire mis à mal tout de même à mesure des révélations qui se font jour...

EDSC: La presse luxembourgeoise vient de lever une autre affaire jugée plutôt grave ici. Cette affaire relative à l'éxistence de sociétés écrans qui auraient été en charge des circuits financiers utiles au besoin du régime Iranien pour contourner les décisions du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qu'en est-il?

DR: Là aussi il faut faire force de prudence, le régime Iranien est engagé dans une course au nucléaire que certains imaginent comme purement civil alors que d'autres parlent ouvertement de provocation en rien pacifique. Si l'administration américaine du Trésor a bien listé les sociétés présentes à Luxembourg, c'est que le renseignement américain est bien mieux informé que les autres, d'ailleurs peut être bien plus perspicace et moins victime de contagions locales sous couvert de visées mercantiles.

EDSC: Pour en revenir à l'affaire Karachi, la France aurait utilisé des sociétés écrans pour assurer des circuits habituels de commissions et peut-être donc de rétrocommissions, point de discorde de l'affaire...

DR: Je vous arrête tout de suite, la France via la DCN (Direction des Constructions Navales) a bien utilisé le potentiel du Luxembourg en la matière, mais il faut préciser que les pratiques utilisées à l'époque étaient légales, en tous cas dès lors qu'aucunes rétrocommissions revenaient sur le territoire français, et surtout dans le cadre par exemple, d'un  potentiel financement politique qui lui,  serait de fait occulte.

EDSC: Oui, mais comment comprendre la frontière entre ce qui était légal et donc habituel et toutes les dérives qui se font jour?

DR: C'est toute la logique de l'affaire qui se profile, au début une vente d'armement, comme de nombreuses, des besoins d'encadrer les contrats pour obtenir les marchés. C'est à dire faire intervenir les moyens utiles pour que des relais et même des délais soient respectés, ce sont les commissions d'affaires qui peuvent y contribuer, intervenir sur des activités précises de lobbying  c'est à dire acheter les bons services de personnes ou comment savoir donner pour recevoir, c'est le commerce.

EDSC: D'accord avec votre analyse, mais si aujourd'hui on voit un tel scandale d'état, c'est parceque d'une entre guillemets "opération de commerce d'armement" pour ne pas dire "commerce international" on est arrivé malheureusement à l'affaire de l'attentat de Karachi et ses nombreuses victimes...

DR: Tout à fait Emanuel, sans cette triste affaire de l'attentat, le dossier avait bien moins de chance de remonter à la surface. Mais de là à voir un lien direct de causalité, il faut être trés prudent, c'est selon la thèse de certains la fin de rétrocommissions qui serait à l'origine de cet attentat, alors que pour d'autres, l'oeuvre d'Al Qaida. Le contexte géopolitique de l'époque peut toujours valider cette thèse. Certains pourront  vous dire que les juges qui doivent éclairer les victimes doivent vérifier tous les points, à commencer donc la piste des rétrocommissions. Ce qui dans un premier temps n'avait pas été une priorité. Aujourd'hui c'est bien la tenacité légitime des familles de victimes qui permet à nouveau de s'intéresser à cette hypothèse. Des éléments nouveaux peuvent conforter cette logique. Il y a un intérêt nouveau, celui du contexte politique qui permet à certaines langues de se délier à mesure que des éléments remontent à la surface.

EDSC: Concrètement, qu'elle est la thèse qui retient le plus votre attention, ALQaida ou la vengeance de certaines personnes flouées dans le maquis de potentielles rétrocommissions?

DR: Pour être franc et donc écouter mon intime conviction, un peu des deux! Le pédigree de certains intervenants relatifs aux commissions ne me semble pas de nature à éviter cette possible thèse, pour les rétrocommissions c'est l'autre pendant du dossier, il ne me semble en rien plus glorieux. Il démontre des pratiques qui en plus d'être contestables au possible, viendraient ternir d'autres personnalités et donc pédigrees...
Il en ressort que la campagne du candidat Edouard Balladur est bien dans le viseur, et sur ce point il y a des faits que je trouve trés surprenants, comme par exemple la capacité de perception financière pendant  la campagne, c'est à dire de dons en cash du candidat, on parle d'environ 1, 4 Million d'euros soit environ 10 millions en francs de l'époque, c'est à dire des coupures de 100 et surtout 500 FF de l'époque...  Remises selon les dernières informations de certains médias dans un sac sur le compte du mandataire financier. Et dans cet esprit l'annonce de discussions tendues lors de la validation du compte de campagne d'Edouard Balladur par le trés officiel Conseil Constitutionnel, qui aurait décidé selon ces mêmes sources faire l'impasse sur certaines remarques des rapporteurs. C'est ce qui pourrait expliquer les nombreux commentaires qui alimentent la thése du possible financement politique occulte, mais pour ce qui est de le prouver, c'est différent. Sur le volet rétrocommissions, c'est la négociation entre l'état français et l'intermédiaire Boivin qui laisse un boulevard, selon moi,  plus intéressant et donc toujours ouvert aux missions des enquêteurs. Car si on a achèté un potentiel silence qui,  se serait donc finalement  bien vendu, il y a des raisons évidentes... Elles avaient un coût et donc un prix.

EDSC: Soyez plus précis, La presse relate des injonctions d'un Boivin devenu trés menaçant à mesure que certains l'écartèrent...

DR: Refaire ici la genèse du dossier serait trop long, je pense aux sociétés Heine et Eurolux à Luxembourg, mais   c'est ce que la police luxembourgeoise semble confirmer quand elle se pose la même question sur les fluxs financiers jugés importants et donc de possibles financements politiques en France. On notera que le travail de la police luxembourgeoise se termine en quasi queue de poisson, il y a des raisons! Bien loin de moi l'idée d'imaginer un manque de sérieux des enquêteurs luxembourgeois, mais on nous laisse sur une fin plutôt amère... La vérité est bien cachée dans le contexte particulier de cette enquête. On arrive logiquement sur la différence entre commissions et rétrocommissions, pour être clair, une commission est due à un intervenant qui aura produit une mission réelle pour que le succès du contrat, ses enjeux,  une rétrocommissions est une largesse pour des intervenants secondaires dont on peut douter de la réelle implication directe dans le volet des négociations, comme par exemple non exhaustif , le rôle de certains  politiques qui voient des fluxs si importants et qui se diraient, après tout... mais pas forcément pour financer en priorité une campagne électorale. Pour ce qui est de Jean-Marie Boivin, c'est un ancien de la DCN qui, le métier aidant, se retrouve en expert pour finaliser les circuits habituels des négociations, en ce sens, je peux comprendre qu'il puisse avoir été  un jour plus amère si certains voulaient lui couper,entre guillemets,  "le robinet"... Mais reste à voir qui sont ceux qui décidérent réellement de l'écarter, d'une certaine façon... Et surtout pour quelles raisons!  Vous voyez, on tourne en rond dans cette affaire. Tourner en rond ne veux pas dire dans le mauvais sens!

EDSC: Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy fait l'objet d'une réelle défiance de la part de certains  journalistes dont il ne s'est pas privé de dire en off tout le bien qu'il pensait. Pensez vous que le chef d'état soit éloigné ou finalement impliqué dans l'affaire? 

DR: D'abord il ne faut pas oublier un autre contexte particulier, celui de la future échéance présidentielle... pour répondre en partie à votre question, c'est aux juges de nous donner une telle réponse! Si je devais m'en tenir qu' à l'avis des familles des victimes, il ne semblerait  pas éloigné de l'affaire, surtout  quand elles lui demandent, je cite,  d'arrêter de mentir. Pour ma part je suis plus prudent, ce qui ne veut pas dire mauvais client de cette thèse dans la mesure ou les liens entre certains  différents acteurs étaient pour le moins trés ténus. Il faut, sans tomber dans le jeu des rivalités habituelles de la Chiraquie et du Sarkosisme, que les juges découvrent  le rôle précis de Nicolas Sarkozy à cette époque, ses ministères suivant les différentes séquences de l'affaire, ses pouvoirs, sa fonction de porte-parole officiel du candidat Edouard Balladur, et plus important selon certains médias, cette interrogation sur d'autres potentielles fonctions moins officielles par ailleurs pas illégales, comme par exemple dans l'entourage de la sphère Balladur, pas loin d'un autre homme, Nicolas Bazire par exemple. 

Je pense que si  Jacques Chirac a dès 1995 souhaité faire un certain ménage, c'est qu'il avait de trés bonnes raisons. Décider l'arrêt de telles pratiques (ndlr:sur les rétrocommissions) aussi radicalement n'est pas sans raison, l'ancien président aurait selon certaines sources  bien  fait appel aux services de la DGSE pour s'informer sur les intermédiaires et il semble acquis que des mouvements  bancaires de fonds forts importants étaient pour le moins suspects entre Malte, la Suisse, l'Espagne, et Luxembourg! Ce qui pourrait m' inviter, comme beaucoup de monde aujourd'hui, à ne pas refuser d'écouter les arguments de ceux pour qui la  thèse de voir certaines personnalités de haut rang impliquées comme recevable. Mais c'est pour moi  à  la justice de donner une  réponse, qui sera mienne. Cette interrogation légitime sur le rôle potentiel et possible du président ou d'autres personnes trés en vue est due à sa proximité dans l'édifice de la campagne Balladur et donc créant de fait un lien pour ceux qui se sont engouffrés avec les thèses du financement électoral occulte, sans compter les rivalités de notoriétés publiques entre  les différentes droites. Comme par exemple, une des nombreuses interrogations  qui réside surtout par  la levée actuelle de boucliers dans ses rangs. Elle me semble un peu disproportionnée dès lors qu'il serait blanc comme neige. Encore moins de nature à apaiser les doutes qui pésent sur le président au sens trés général du terme. La raison d'état, le secret défense ne peuvent tout justifier! Ce sont des outils qui se veulent des garanties pour les intérêts de  la maison France, la maison France c'est quoi? Prioritairement le peuple ou bon peuple de France, comme les victimes des attentats de Karachi, leurs familles, et tout ce qui contribue à donner autant de détermination qu'il en faudra aux juges chargés de l'affaire! 

EDSC: Sans aucunes visées malveillantes de ma part à votre encontre, comment percevez-vous la montée au créneau de l'ancien premier ministre Dominique de Villepin?

DR: Visées malveillantes? Bon, pour être franc avec vous, je préfère l'angle de monsieur De Villepin, question de style. Vous savez contrairement aux idées qui se répandent un peu trop vite, il semble qu'il ne charge pas, si je puis dire,  Edourad Balladur comme potentiel bénéficiaire des rétrocommissions. Pour le fond il était quand même  à l'époque le secrétaire général de l'Elysée et se retrouve aujourd'hui futur potentiel candidat à la présidence de la république. Si son sentiment peut rejoindre le miens sur l'éxistence de rétrocommissions et donc par conséquences de possibles financements occultes, je ne vois pas pour quelles raisons on devrait se refuser à le dire. Se refuser peut être aussi de juste limiter son intervention qu'à un nouvel épisode de la rivalité entre les deux hommes qui s'est déjà remarquée dans l'autre dossier qui trouvait quelques relais douteux à Luxembourg, je pense à Clearstream. vous voyez, on tourne toujours en rond avec cette affaire, mais toujours dans le bon sens...


EDSC: Je reconnais votre humour! Si vous deviez rencontrer l'avocat des familles victimes de l'attentat, maître Olivier Morice, vous aimeriez lui dire quoi?

DR: Pour le coup,  je reconnais aussi votre humour, toujours aussi mal placé! Cet avocat est à mon avis un franc-tireur, il a le grand mérite de donner un nouveau souffle à cette affaire. J'espère qu'il pourra donner des réponses plus intéressantes pour toutes les familles des victimes. Je reste trés optimiste surtout si toutes les langues qui se délient aujourd'hui continuent dans leur entreprise d'un certain courage. Mais en politique je ne connais pas de courage qui ne soit pas intéressé! Imaginez l'ampleur de l'affaire, on est plus dans une logique de scandale d'état, j'espère juste qu'il pourra déplacer des digues dans une affaire qui fait déjà tant de vagues. Je pense que les deux juges en charge des deux volets de l'affaire, le juge van Ruymbeke, et le juge Marc Trévidic sont dans une logique que je partage. Je pense aussi au  secret défense, il faudra bien que ceux qui l'utilisent ne soient plus les uniques dépositaires du pouvoir de déclassification des documents.

EDSC: Pour conclure, puisque le Luxembourg est à l'honneur, si je puis dire comme vous savez le dire, certains médias évoquaient à l'époque des fameuse sociétés écrans de la DCN des liens entre le premier ministre luxembourgeois et Jean-Marie Boivin, il semblerait qu'un ministre luxembourgeois aurait même été invité dans un Safari en Afrique aux frais de certains intervenants pour le compte de la DCN?

DR: Le Luxembourg est un pays qui est en droit d'être aussi un potentiel client de solutions de défense, il semblerait que le premier ministre luxembourgeois Juncker aurait  clairement nié cette potentielle amitié avec Boivin , dénoncée en son temps... Pour ce qui est du ministre invité, j'espère juste qu'il s'est bien protégé du soleil! Plus sérieusement il ne faut pas tomber dans le mélange des genres.

EDSC: Oui, mais Finance Offshore n'a jamais caché le grand écart du premier ministre luxembourgeois comme par exemple sur la question de la liste grise des paradis fiscaux de l'OCDE et ses fonctions de président de l'Eurogroupe?

DR: Vous savez, si vous avez des questions à poser sur le premier ministre luxembourgeois, je pense que le président français devrait pouvoir vous éclairer sur la personnalité du premier ministre luxembourgeois. Qu'il soit habitué au grand écart, celà me paraît possible, mais est-il bon équilibriste? Soyons sport, il a déjà tant de problèmes avec la crise de la zone euro... mais bon, il est vrai qu'à luxembourg des langues se délient aussi, peut être une question d'ambiance...

EDSC: Il est vrai que Monaco vient de commencer une campagne promotionnelle dans les médias, je commence à comprendre votre analyse sur la problématique du déficit d'image du Luxembourg...

Dr: Pour conclure, je pense que le meilleur attaché de presse du premier ministre luxembourgeois est bien Nicolas Sarkozy! Sans plaisenterie, aucune.

EDSC: Merci et à bientôt sur le site Finance Offshore.



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